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« Contre l'irréversibilité et l'imprévisibilité du processus déclenché par l'action le remède ne vient pas d'une autre faculté éventuellement supérieure, c'est l'une des virtualités de l'action elle-même. La rédemption possible de la situation d'irréversibilité – dans laquelle on ne peut défaire ce que l'on a fait, alors que l'on ne savait pas, que l'on ne pouvait pas savoir ce que l'on faisait – c'est la faculté de pardonner. Contre l'imprévisibilité, contre la chaotique incertitude de l'avenir, le remède se trouve dans la faculté de faire et de tenir des promesses. Ces deux facultés vont de pair : celle du pardon sert à supprimer les actes du passé, dont les “fautes” sont suspendues comme l'épée de Damoclès au-dessus de chaque génération nouvelle ; l'autre, qui consiste à se lier par des promesses, sert à disposer, dans cet océan d'incertitude qu'est l'avenir par définition, des îlots de sécurité sans lesquels aucune continuité, sans même parler de durée, ne serait possible dans les relations des hommes entre eux. Si nous n’étions pardonnés, délivrés des conséquences de ce que nous avons fait, notre capacité d’agir serait comme enfermée dans un acte unique dont nous ne pourrions jamais nous relever ; nous resterions à jamais victimes de ses conséquences, pareils à l’apprenti sorcier qui, faute de formule magique, ne pouvait briser le charme. Si nous n’étions liés par des promesses, nous serions incapables de conserver nos identités ; nous serions condamnés à errer sans force et sans but, chacun dans les ténèbres de son cœur solitaire, pris dans les équivoques et les contradictions de ce cœur — dans des ténèbres que rien ne peut dissiper, sinon la lumière que répand sur le domaine public la présence des autres, qui confirment l’identité de l’homme qui promet et de l’homme qui accomplit. […] Ces préceptes moraux sont les seuls qui ne soient pas appliqués de l’extérieur à l’action, du haut d’une faculté supposée plus élevée ou à partir d’expériences situées hors de la portée de l’action. Ils proviennent de la volonté de vivre avec autrui dans la modalité du parler et de l’agir » (Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne)
« Les groupes dominés, qu'ils soient socio- professionnels, sexuels, religieux, ethniques, font l'objet de formes multiples de dénigrement et se voient refuser toute légitimité, voire toute raison d'être. Leurs formes de vie, pratiques, croyances, opinions, habitudes, consommations culturelles, etc., sont soumises à des représentations stigmatisantes et présentées défavorablement (stupides, vulgaires, simples, anormales, sales, barbares, etc.) dans les catégories produites par les modes d'orientation culturels légitimes. L'imposition de la légitimité de la culture dominante s'opère par l'imposition de schèmes de classement parvenant à faire éprouver aux dominés leur existence même comme indigne et honteuse, inférieure eu égard aux catégories reconnues. Les acteurs dominés sont ainsi rendus coupables d'être ce qu'ils sont et, selon la théorie de la violence symbolique, enclins à reconnaître la légitimité des valeurs de la culture dominante. Cependant, ils sont aussi potentiellement acteurs et entreprennent, dans certaines situations, de combattre les stigmates dont ils sont victimes […] » (Olivier Voirol, « Reconnaissance et méconnaissance : Sur la théorie de la violence symbolique », Information sur les Sciences Sociales, vol.43, n°3)
« « Maintenant nous allons donc savoir ce que l'analyse entreprend avec le patient à qui le médecin n'a pu être d'aucun secours. » Il ne se passe rien d'autre que ceci : ils parlent ensemble. L'analyste n'utilise aucun instrument, pas même pour l'examen, il ne prescrit pas davantage de médicaments. […] Le visage de notre interlocuteur impartial exprime maintenant un soulagement et une détente indéniables, mais traduit tout aussi nettement un certain dédain. C'est comme s'il pensait : rien que cela ? Des mots, des mots et encore des mots, comme dit le prince Hamlet. […] Il dit aussi : « C'est donc une sorte de magie, vous soufflez sur les souffrances et elles s'envolent. » Très juste, ce serait de la magie si cela agissait plus vite. Le charme a pour condition essentielle la rapidité, on aimerait dire : la soudaineté du succès. Mais les traitements analytiques réclament des mois, voire des années ; un charme aussi lent perd le caractère du merveilleux. […] L'auditeur impartial poursuit : « […] Comment voulez-vous amener [le malade] à croire à la magie du mot ou du discours, qui doit le délivrer de ses maux ? » Il faut bien entendu le préparer à sa cure, et un moyen très simple s'offre pour cela. On l'invite à être absolument sincère avec son analyste, à ne rien lui dissimuler avec intention de ce qui lui passe par l'esprit, ensuite à se mettre au-dessus de toutes les réticences qui cherchent à empêcher la communication de telle pensée ou de tel souvenir. Chacun sait receler en lui-même des choses qu'il ne communiquerait aux autres que très à contrecœur, davantage, dont la communication lui semble impossible. Ce sont ses “intimités”. Il pressent aussi - ce qui est un grand progrès dans la connaissance de soi-même - qu'il est d'autres choses que l'on ne voudrait pas s'avouer à soi-même, que l'on se dissimule volontiers, auxquelles on coupe court et que l'on chasse si elles surgissent pourtant dans la pensée. Peut-être notre observateur remarque-t-il même qu'un très curieux problème psychologique est posé par ce fait qu'une de ses propres pensées doit être gardée secrète par rapport à son propre moi. On croirait que son moi n'a plus l'unité qu'il lui attribue toujours ; on penserait qu'il y a en lui encore autre chose qui peut s'opposer à son moi. En soi il peut ainsi obscurément pressentir comme une antithèse entre le moi et une vie psychique au sens plus large. » (Freud, Psychanalyse et médecine)