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« Laissant donc tous les livres scientifiques qui ne nous apprennent qu'à voir les hommes tels qu'ils se sont faits, et méditant sur les premières et plus simples opérations de l'âme humaine, j'y crois apercevoir deux principes antérieurs à la raison, dont l'un nous intéresse ardemment à notre bien-être et à la conservation de nous-mêmes, et l'autre nous inspire une répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement nos semblables. […] [L]es devoirs envers autrui ne lui sont pas uniquement dictés par les tardives leçons de la sagesse ; et tant [que l'homme] ne résistera point à l'impulsion intérieure de la commisération, il ne fera jamais du mal à un autre homme ni même à aucun être sensible, excepté dans le cas légitime où sa conservation se trouvant intéressée, il est obligé de se donner la préférence à lui-même. Par ce moyen, on termine aussi les anciennes disputes sur [le statut des animaux]. Car il est clair que, dépourvus de lumières et de liberté […] mais, tenant en quelque chose à notre nature par la sensibilité dont ils sont doués, on jugera qu'ils doivent aussi participer au droit naturel, et que l'homme est assujetti envers eux à quelque espèce de devoirs. Il semble, en effet, que si je suis obligé de ne faire aucun mal à mon semblable, c'est moins parce qu'il est un être raisonnable que parce qu'il est un être sensible ; qualité qui, étant commune à la bête et à l'homme, doit au moins donner à l'une le droit de n'être point maltraitée inutilement par l'autre. » (Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes)
« L'utilitarisme assimile le bien au bonheur ou à la satisfaction des préférences. De ce fait, l'ensemble des êtres susceptibles d'éprouver des plaisirs ou d'avoir des préférences sont inclus dans le cercle de la considération morale. Dans la recherche de la décision optimale, on doit accorder le même poids aux plaisirs ou aux préférences d'intensité comparable. Les caractéristiques présentées par ailleurs par les individus qui les éprouvent n'ont aucun rôle à jouer. L'utilitarisme est ainsi par construction une doctrine non spéciste : le fait que des êtres sentants appartiennent ou non à l'espèce humaine est un critère qui, en soi, n'a aucune pertinence éthique. Jusqu'à quel point cela a-t-il été mis en avant par les défenseurs de cette philosophie ? L'inclusion des animaux parmi les patients moraux est explicite chez les grandes figures de l'utilitarisme classique. […] Tant chez Bentham que chez Mill, on trouve l'affirmation selon laquelle ce n'est que par une discrimination injuste que les intérêts des animaux sont jugés moins importants que ceux des humains […]. Mais outre que chez eux des réflexions remarquables en côtoient d'autres qui en limitent la portée, on ne trouve pas chez les fondateurs de traitement systématique du sujet, ni de véritable programme de réforme […]. On comprend par différence pourquoi, sur la question animale, Singer est un auteur plus marquant que ses prédécesseurs. C'est la première fois qu'un philosophe utilitariste consacre plusieurs livres et articles à la question animale. […] Singer mène un travail d'enquête approfondi […] La moitié de La libération animale se situe sur le plan descriptif. Chiffres, images et explications à l'appui, Singer donne à voir les mutilations, l'enfermement, la détresse physique et psychologique extrême, subis par les animaux de laboratoire ou de ferme. […] Le projecteur est mis sur les utilisations les plus répandues des animaux, à commencer par la première d'entre elles : leur exploitation comme source de viande, lait ou œufs. » (Estiva Reus, “Utilitarisme et anti-utilitarisme dans l’éthique contemporaine de l’égalité animale”, Cahiers antispécistes n°32)
Complément : “Une approche conséquentialiste de la consommation de viande”
« « Tom Regan, professeur américain de philosophie morale, s’est rapidement imposé comme la principale alternative déontologiste à l’utilitarisme de Singer et, par voie de conséquence, comme le principal théoricien des droits de l’animal et de l’abolitionnisme. Son œuvre majeure, The Case for Animal Rights (1983), livre ambitieux, précis et parfois indigeste, reste l’un des grands classiques de l’éthique animale. Le point de départ de Regan est la dénonciation de l’insuffisance du réformisme, c’est-à-dire du modérantisme qui ne vise que l’amélioration du bien-être animal. Certains abolitionnistes sont patients et considèrent que le réformisme est une première étape acceptable, autrement dit que le grand public n’abolira pas du jour au lendemain l’exploitation animale mais qu’on peut l’y conduire de fil en aiguille en commençant par améliorer le sort des animaux. Ce n’est pas l’avis de Regan : « Les pratiques qui ont été abolies, comme l’esclavage, n’ont pas d’abord été réformées. » Il est selon lui impossible de changer des institutions injustes en se contentant de les améliorer. C’est même un effet pervers : « Quand vous réformez l’injustice, mon opinion est que vous la prolongez. » […] Le désaccord entre Singer et Regan est tout simplement qu’ils n’ont pas les mêmes buts : l’un veut maximiser le bien-être des animaux, l’autre veut abolir leur exploitation car il leur attribue des droits moraux. Attribuer des droits moraux à un être implique de reconnaître qu’il a une valeur inhérente. Selon quel critère ? Regan, comme Singer et pour la même raison que lui, exclut les critères intellectuels traditionnels que sont la rationalité, le langage articulé, la conscience et le reste, car ils sont absents des humains marginaux auxquels on reconnaît pourtant cette valeur inhérente. Par contre, là où Singer introduit le critère de la souffrance, Regan parle plutôt du fait d’être sujet-d’une-vie […]. Singer dit : avoir une considération morale pour un être implique de reconnaître qu’il a des intérêts selon le critère de la sensibilité. Regan dit : attribuer des droits moraux à un être implique de reconnaître qu’il a une valeur inhérente selon le critère du fait d’être sujet-d’une-vie. La valeur inhérente implique le droit à un traitement respectueux : « Nous devons traiter les individus qui ont une valeur inhérente d’une manière qui respecte leur valeur inhérente. » » (Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Éthique animale, PUF, 2008, p.79-81)
Complément : texte de Valéry Giroux